Thèse de Doctorat sur la Couverture santé des Français expatriés présentée et soutenue le 1er juin 2005 par Franck Scola, Université de la Méditerranée – Faculté de Médecine de Marseille
Président : Pr. Olivier Dutour (Anthropologie – Relations Internationales – Faculté de Médecine de Marseille)
Jury : Dr. Isabelle Soubayroux (Chirurgien dentiste, épidémiologiste), Pr. Philippe Astoul (Chef de Service de pneumologie CHU Marseille – Ancien expatrié au Brésil) , Pr. Jean Delmont (Chef de service de Médecine tropicale – CHU Marseille)
Introduction:
La communauté nationale établie hors de France s’élève à deux millions cinq cent mille ressortissants dont vingt quatre mille au Brésil où la présence française remonte au début de l’histoire du pays. Pour ces familles françaises, l’inconvénient majeur de l’expatriation reste la protection sociale puisque celle-ci se heurte à trois difficultés. La première est que les droits sociaux de la législation française peuvent ne pas s’acquérir à l’Étranger. Ensuite, les règles de Sécurité Sociale varient selon les pays d’accueil. Enfin, le troisième écueil réside dans le fait que certains pays, dont le Brésil, ne soient pas signataires avec la France de convention de Sécurité Sociale. La couverture santé constitue alors la première préoccupation car en dépendent l’accès aux soins et les conséquences matérielles d’une maladie ou d’un accident. Outre l’écho affectif d’une pathologie qui peut être décuplé par l’absence des repères habituels, s’ajoute une complexité administrative dans la prise en charge des soins. Celle-ci est liée aux différences entre les systèmes de santé et de protection sociale de chaque pays. Au Brésil, malgré un essor technologique prodigieux et une médecine de pointe mondialement reconnue, persistent les points faibles d’un pays jeune, dont la précarité des services publics, laissant un rôle prépondérant au secteur privé de la santé et des assurances.
L’objectif principal de ce travail a été de dresser un état des lieux sur la couverture santé des Français installés à Rio de Janeiro. Pour se faire, il s’appuie sur une approche socioculturelle de cette communauté, une observation des comportements en matière de consommation de soins et de prévoyance, et une comparaison de ces comportements entre les catégories d’expatriés, puis entre ces Français de Rio et leurs compatriotes habitant l’Hexagone. Enfin, il tente de mettre en évidence les éventuelles difficultés spécifiques de la prise en charge médico-sociale pour les sujets français résidant dans un pays sans convention de sécurité sociale avec la France.
Cette enquête descriptive transversale a été menée sur trois ans, par un recueil des données effectué au Brésil, puis un traitement statistique de celles-ci à l’aide de logiciels informatiques spécialisés. Le Consulat de France a mis à disposition de l’étude la liste des immatriculés consulaires après une autorisation ministérielle sollicitée en septembre et accordée en décembre 2002. Cette liste comptait 4860 personnes à l’époque. Un tirage au sort a été réalisé d’un quart de cette population, soit 1215 sujets. Pour être intégrés à l’étude, ils devaient rassembler quatre critères : la nationalité française, l’immatriculation consulaire, la résidence dans la ville de Rio de Janeiro, et le statut d’expatrié. Ils ont été invités à participer à l’enquête par un courrier d’information signé par le vice-consul de France, Monsieur Jean-Paul Bossuge. Chaque pli comportait une enveloppe pré-timbrée et un coupon-réponse dont 392 ont été renvoyés, ce qui représente un douzième de la population totale des Français immatriculés dans cette circonscription consulaire. Un questionnaire leur a été soumis de visu et par téléphone, comportant des critères socioculturels, des questions relatives à l’état de santé, au recours aux soins, et à l’assurance maladie.
Discussion:
L’échantillon compte 172 femmes et 220 hommes, de 2 à 91 ans, d’âge moyen respectif : 47 et 49 ans. 31 % sont porteurs de double nationalité, essentiellement franco-brésilienne. Les binationaux sont majoritairement des sujets féminins. Plus de la moitié des sujets sont mariés ou vivent en concubinage. Les sujets célibataires sont des hommes pour trois quarts d’entre eux. Les femmes sont les plus nombreuses parmi les individus mariés. Cela fait évoquer une réalité connue des sociologues selon laquelle, dans les familles françaises expatriées, c’est encore la carrière de l’homme qui prime le plus souvent. Plus de 75 % des sujets de l’échantillon sont des actifs, et cette catégorie est particulièrement importante parmi les plus récemment arrivés au Brésil chez qui le motif d’expatriation est surtout professionnel. Les classes socioprofessionnelles les plus représentées sont celles des cadres et des employés, ce qui reflète la tendance de l’actuelle vague d’expatriation française, tout pays confondu.
D’après les médecins consulaires et le Comité d’Infirmation Médicale (CIMED), la population à l’étude n’est pas significativement touchée par des pathologies somatiques géographiquement spécifiques. Ces individus bien acclimatés à leur pays d’accueil ont adopté une hygiène de vie évitant les maladies infectieuses redoutées dans la région, ainsi que celles liées à la météo tropicale. Seules quelques touristes français y sont assujettis de façon sporadique.
Par contre, les changements de mode de vie et de repères peuvent avoir des répercutions psychiques ou psychosomatiques. Le cas le plus communément décrit, sous la désignation de « problématique du conjoint », concerne des femmes ayant suivi leur conjoint partant travaillé au Brésil, et qui elles-mêmes n’ont pas trouvé sur place un épanouissement social.
La consommation de soins chez les sujets à l’étude a été mesurée à travers le nombre annuel de consultations chez le médecin généraliste, les spécialistes et le chirurgien-dentiste, en fonction des caractéristiques socioculturelles. Il apparaît que les franco-français consultent significativement plus souvent un généraliste que leurs compatriotes binationaux. A contrario, les franco-brésiliens consultent plus fréquemment un spécialiste. La même différence s’observe en comparant ces variables entre sujets français nés au Brésil ou en France. Il apparaît alors un nombre significativement supérieur de consultations annuelles chez le généraliste par ceux nés en France, et une plus grande fréquentation des spécialistes par ceux nés au Brésil. Concernant la consultation chez le chirurgien dentiste, l’enquête révèle qu’elle est considérablement plus fréquente chez les franco-français et ceux nés en France.
Chez ces trois praticiens, le nombre de consultations s’avère deux à trois fois inférieur dans l’échantillon que chez les habitants de France.
Concernant l’assurance maladie à l’Étranger, elle n’est plus soumise comme en France à un régime obligatoire. Les assurés perdent leur affiliation à la sécurité Sociale dés leur troisième mois de sortie du territoire. Ils ont alors la possibilité de souscrire à une assurance volontaire.
Quatre cas de figure se sont alors présentés au sein de l’échantillon :
– Une catégorie sans assurance volontaire. Ils ne peuvent recevoir de soins gratuits au Brésil que dans les hôpitaux publics, officiellement déconseillés par les autorités françaises. La prise en charge des soins est assurée par le SUS (Système Unique de Santé), organe du Ministère Brésilien de la Santé.
– Des souscripteurs à la CFE (Caisse des Français de l’Étranger). Il s’agit de l’assurance maladie proposée aux expatriés par la Sécurité Sociale française.
– Des adhérents aux Plans Locaux de Santé, assurances privées souvent issues de groupes banquiers brésiliens.
– D’autres ayant opté pour des compagnies privées ou étrangères.
Les caractéristiques de chaque type d’assurance peuvent être perçues comme des avantages ou inconvénients selon les catégories d’expatriés.
La CFE est française, semi-publique puisque appartenant à la Sécurité Sociale, mais il s’agit quand même d’une assurance volontaire. Elle assure une couverture pour des soins en France au cours d’un séjour d’une durée inférieure à trois mois. Elle est la seule permettant à l’assuré de conserver son affiliation à la Sécurité Sociale en cas de retour en Métropole. Ses cotisations sont en Euro, ce qui occasionne des frais de conversion et de transfert. Le remboursement se fait sur la base des tarifs français, dans un délai d’un à deux mois. Au Brésil, les assurés à cette caisse doivent toujours faire l’avance des dépenses car la CFE n’a pas de convention avec des établissements locaux de santé.
Quant aux Plans Locaux de Santé, eux sont privés. Leurs sièges sont à proximité alors que celui de la CFE est à Paris. Leurs cotisations sont honorées en monnaie locale (Real Brésilien). Ils fonctionnent avec des centres conventionnés de soins, ce qui dispense l’assuré d’avoir à avancer les frais mais le prive du libre choix de ses praticiens. Ils garantissent la prise en charge des soins reçus uniquement au Brésil. Ce type d’assurance ne garantie pas la conservation de droits à la Sécurité Sociale française en cas de retour.
Dans l’échantillon à l’étude, 56 % des sujets seulement ont un organisme assureur. Par contre, 38 % des individus sont sans couverture santé. Une minorité (5 %) bénéficie d’une double protection, le deuxième organisme assureur pouvant avoir le rôle de compléter la part remboursable du premier, ou bien de couvrir d’autres prestations de santé (optique, orthodontie…). Les sujets des classes socioprofessionnelles les plus élevées s’avèrent mieux assurés. Par ailleurs, les personnes franco-françaises et celles nées en France possèdent quantitativement plus d’assurances souscrites que les binationales et que celles nées au Brésil. En s’intéressant à la catégorie des personnes sans assurance, l’étude révèle qu’il s’agit plus de compatriotes naturalisés; les Français de sol étant moins d’un quart à connaître cette situation précaire.
Ces inégalités dans l’accès à l’assurance maladie des expatriés français de Rio sont conditionnées par des contraintes conjoncturelles plus qu’aux convenances personnelles.
En effet, interrogés sur les critères déterminant leur situation vis-à-vis de la couverture santé, 47 % citent en premier lieu le « coût des cotisations », 16, 6 % évoquent le « manque d’information », et dans 14 % des cas le « choix de l’entreprise ». Dans de moindres proportions (inférieures à 15 %), ce sont les convenances personnelles qui sont alléguées: les garanties, la préférence pour une compagnie française, le souci de conserver ses droits à la Sécurité Sociale française, et celui de suivre les conseils des représentations nationales. Mais ces proportions diffèrent selon les groupes: l’aspect financier est une considération plus lourde chez les binationaux et les français nés au Brésil. Les personnes expatriées pour motif professionnel s’avèrent moins dépendantes de ce critère. Enfin, ceux dont la vie au Brésil n’est que temporaire s’attachent plus aux garanties proposées, préfèrent un organisme français, se préoccupent de conserver leurs droits sociaux français, et se fient plus aux conseils des autorités françaises locales.
Si l’étude a démontré que le manque d’information était le deuxième écueil dans l’accès des expatriés à l’assurance maladie, 84,3 % des individus à l’étude se déclarent insuffisamment informés. Or l’information est une démarche active et les sources de renseignements sont nombreuses. Néanmoins 47 % déclarent n’en avoir aucune. Le premier interlocuteur sur les questions de protection sociale recherché par les sujets de l’échantillon est leur délégué au Conseil Supérieur des Français de l’Étranger (CSFE). Puis c’est au sein de l’entreprise les employant au Brésil que les individus affirment trouver les réponses à leurs questions. Dans moins de 10 % des cas, ils s’adressent aux services consulaires, au tissu associatif, aux sites Internet et à la presse destinée aux Français de l’Étranger.
Conclusion:
Au sein de la communauté française installée à Rio de Janeiro, les profils socioculturels varient selon les liens conservés avec le pays d’origine (la France) ou l’intégration au pays d’accueil (le Brésil).
De façon globale, les résultats de l’enquête révèlent une moindre consommation de santé par rapport aux habitants de France. Certains Français sont restés fidèles à la consultation régulière chez le généraliste, alors que ceux plus empreints de culture brésilienne se dirigent prioritairement vers des spécialistes. On est alors en droit d’évoquer une influence culturelle vu qu’en France on attribue au médecin traitant un rôle de chef d’orchestre entre ses confrères spécialistes. A l’opposé dans les jeunes nations comme le Brésil, on lui préfère d’emblée le spécialiste, reflet du progrès scientifique dans une société en pleine mutation et résolument consommatrice de modernité.
Quant à l’affiliation à l’assurance maladie, elle n’est plus comme en France soumise à un régime obligatoire. C’est à l’assuré lui-même que reviennent les efforts d’information et les démarches administratives. Mais au delà des questions culturelles, se posent celles du coût des cotisations et de l’accès à l’information. Ces problématiques peuvent être en partie responsables de la sous-consommation de soins par rapport aux Français résidents sur l’Hexagone. L’investissement dans une souscription optimale caractérise plutôt les sujets mariés, aux revenus les plus hauts, dont le motif d’expatriation est professionnel, et chez qui un retour en France est probable. Par contre, il existe hélas une catégorie de compatriotes pour lesquels l’expatriation demeure synonyme de précarité en matière de protection sociale: plus d’un tiers des sujets de l’échantillon sont non couverts. Concernant les assurés à la CFE, ils apparaissent sans conteste comme une catégorie de Français plus encline à conserver des liens forts avec la France à travers l’affiliation à la Sécurité Sociale.
Cette enquête pionnière devrait donner suite à d’autres études permettant une réflexion quant à d’éventuelles solutions notamment sur l’accessibilité pécuniaire et les carences de l’information sur l‘assurance maladie des expatriés. Cette réflexion s’impose car le profil des nouveaux expatriés a changé, que les départs sont moins aventureux, et que les sujets aspirent aujourd’hui à bénéficier du même niveau de garantie que sur l’Hexagone.
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Ce qu’ils en ont dit :
Jean-Paul Bossuge, consul-adjoint de France à Rio de Janeiro : Attestation de Jean-Paul Bossuge