(Article paru dans la Newsletter du SIETAR France de juin 2013)
Lors de la téléconférence du 15 avril organisée par Sietar France et intitulée « Transculturalité dans les soins médicaux : lorsque le malade et son soignant sont de cultures différentes », le Docteur Franck Scola remerciait Nathalie Monsaint‐Baudry d’avoir soulevé une des problématiques illustrant pertinemment le sujet proposé. Celle des petits enfants classés hyperactifs. Ce diagnostic, plus fréquemment posé aux États‐Unis qu’en France, est par ailleurs diversement établi et analysé. De plus, sa prise en charge médicale et scolaire fait l’objet de mesures bien différentes entre la France et les pays anglophones (États‐Unis, Angleterre, Afrique du Sud, Australie). Dans ces derniers, le seuil d’assignation au pathologique et de recours médicamenteux est d’ailleurs de plus en plus bas.
Nathalie Monsaint‐Baudry et Franck Scola nous invitent à poursuivre ces réflexions dans leurs champs respectifs et communs alors que tous deux s’apprêtent à publier un ouvrage. Celui de Nathalie Monsaint‐Baudry ciblera les Mental Disorders au cœur de la culture américaine (en cours d’écriture). Quant à Franck Scola, son livre sur les bébés bilingues portera sur les conditions épanouissant une éducation bilingue précoce, à l’intention des parents, enseignants et soignants. Il sera question des situations de handicap langagier, d’atypies comportementales et de difficultés de socialisation chez l’enfant de moins de 6 ans placé en contexte multilingue, migratoire et multiculturel.
L’essayiste Nathalie Monsaint‐Baudry a présenté les limites culturelles du nouveau DSM‐5 (la « bible mondiale» en psychiatrie) dans un article titré « Il n’y aura plus moyen d’être triste », publié le 3 février dernier dans le Cercle des Echos. Elle insiste notamment sur l’émergence de nouvelles catégories toujours plus précises, et de diagnostics en pédopsychiatrie américaine particulièrement celui d’hyperactivité chez les jeunes enfants, impliquant une prise en charge médicale de plus en plus précoce. Elle pointe des contradictions et alerte sur l’ineptie de cette volonté d’universalisation d’exporter ces diagnostics spécifiquement « américains » et de fait incompatibles avec d’autres cultures. Par exemple, aux Etats‐Unis, bien que chaque génération soit marquée par un nouveau «pédiatre‐gourou » en matière d’éducation, la culture mainstream est une culture que l’auteure désigne comme culture Tefal, de la séparation, de l’individuation précoce. Alors que la culture française est selon son terme, une culture velcro, de l’attachement, du lien et de l’appartenance comme la plupart des cultures latines.
Dans un article publié dans l’Express en mai 2012, au cours de la sortie du dernier livre d’Elisabeth Badinter aux Etats‐Unis, elle démontre en quoi être maman en Amérique et être maman en France n’est pas un exercice de même nature et parle de myopie culturelle. Il va alors de soi que la médecine pratiquée découle directement de la culture.
Sur le plan pédagogique, les écoles américaines en général, s’inspirent davantage d’un esprit Montessori, ou bien des principes d’Eric Steiner (Waldorf), qui seraient des émanations Rousseauistes telles qu’elles sont décrites dans l’Emile. C’est‐à‐dire que l’enfant est placé au cœur de l’apprentissage, sans être brusqué, on vise d’abord son bien‐être, le « fun », l’apprentissage doit être ludique, hands‐on, donnant priorité à l’épanouissement, l’estime de soi, le renforcement positif (positive‐feedback), la prise de parole en public (public speaking). On ne se préoccupe pas tant du « contenu ». C’est une vision de bottom‐up, de pull, et non pas de top‐down, de push. C’est l’émergence que l’on souhaite. Quant aux rites de passage, on y revendique la fameuse crise des « terrible twos », signifiant que l’enfant a du caractère dès deux ans, révélant un sevrage encouragé, alors qu’en France, la tradition veut que l’on aspire à l’obéissance et à l’âge de Raison. On inscrit certes les enfants plus jeunes à la crèche ou à l’école en France (aux Etats‐Unis typiquement autour de l’âge de 5 ans) tout en l’appelant l’école « maternelle », ce qui révèle bien l’état fusionnel d’avec la maman. Un élève « sage » est un apprenant qui suit les consignes, fait ses devoirs, un bon « élément » dira‐t‐on. La pédagogie américaine intègre la faible capacité de concentration ( short attention span), et inclue plus d’activité physique qu’en France, avec des temps journaliers de présence scolaire plus courts.
En France, pays élitiste et vertical, les activités cérébrales restent privilégiées et sont considérées comme plus « nobles ».
Moins d’attention spécifique est portée à l’enfant qui « vient d’ailleurs » puisqu’il doit intégrer l’école de la République, et la diversité linguistique n’est pas prise en compte. Cela peut expliquer qu’en situation d’expatriation, la scolarisation devienne une arène où se cristallisent conflits pédagogiques et culturels. En effet, le système français n’est pas doté de programme comparable au cursus mainstream prévoyant pour les élèves de familles allophones, des enseignements d’ESL (English Second Language).
Là où des enfants seront invités dans une école américaine, à apporter leur jouet préféré pour en parler devant toute la classe (Share Day), l’idée étant d’encourager la prise de parole devant autrui, les parents français seront consternés du ridicule de la mise en scène et de la survalorisation de l’ego. En France, l’expression consacrée serait : « il fait son intéressant », ce qui est pointé à l’école comme un défaut de comportement. De nombreux exemples de conflits interculturels sont développés dans l’essai gratuit en ligne : Etre Française et Américaine, cristallisations culturelles, dans le chapitre concernant l’école publique (page 224). A cela, il faut naturellement ajouter que l’on ne raconte pas les mêmes histoires aux enfants, ni les mêmes contes, encore moins les mêmes berceuses et les mêmes chansons. Entre The Little Engine that Could et Le Petit Poucet, le message et l’intention ne sont pas les mêmes (page 232).
Enfin, Nathalie l’assure « il faut avant tout suspendre son jugement et distinguer d’emblée la différence de nature fondamentale entre les deux cultures : la culture française est de l’ordre de l’être, la culture américaine est de l’ordre du faire ».
Dans son activité médicale auprès de familles impatriées, Franck Scola confirme être confronté à la difficulté de connecter ces différences d’approches psycho‐développementales et éducatives entre les écoles française et anglo‐saxonne. La population au chevet de laquelle il travaille est majoritairement composée de familles de professionnels migrants installées en Provence dans le cadre du projet scientifique internationale ITER et comprend des centaines de couples avec jeunes enfants originaires de pays où la culture médicale et éducative est celle précédemment décrite.
Le rôle donné en France au médecin traitant, celui de coordonner l’ensemble des soins, est rapidement intégré dans le comportement de recours aux soins de ces familles. Cependant, malgré la confiance qu’ils accordent à leur docteur, les discordes sur les prises en charge de difficultés d’apprentissage ou de socialisation chez un petit enfant sont fréquentes.
D’une part, parce que ces familles d’expats n’ont pas reçu d’information sur ces aspects du système de santé et d’éducation français. D’autre part, parce que les équipes médicales de la microrégion voisine du site d’ITER ne sont pas dotées de cellules de médiations transculturelles et les compétences interculturelles dans les soins n’y sont pas développées.
En conséquence, les médecins généralistes et pédiatres libéraux exerçant entre Aix‐en‐Provence et Manosque qui suivent ces enfants ont des attitudes diverses face aux demandes de prise en charge de parents suspectant un trouble chez leur enfant.
L’intercompréhension est donc le plus souvent improbable pour les raisons culturelles que Nathalie Monsaint‐Baudry a disséquées dans le cadre de la rédaction de son essai cité précédemment.
Par ses observations cliniques, voici les 4 principales situations d’échec que le Docteur Scola recense dans les prises en charge d’enfants expatriés :
- Des repérages d’atypies comportementales ou de retard d’acquisition effectués par des enseignants sur des enfants de maternelle issus de familles migrantes et allophones. Ceux‐ci prennent insuffisamment en compte les spécificités développementales des enfants placés dans ce contexte. Ces considérations sont d’ailleurs cruellement manquantes dans le cursus de formation des personnels éducatifs. Ces dépistages peuvent alors faire l’objet d’interprétations erronées. Les enfants sont alors orientées vers des structures de soins dépourvues de compétences sur leurs problématiques propres.
- Des bilans orthophoniques menés auprès d’enfants bilingues à partir de tests d’évaluation dont les critères sont basés sur le monolinguisme. Ceux‐ci aboutissent inévitablement à des erreurs diagnostiques et à des prises en soins orthophoniques inutiles et inadaptées. Un exemple fréquent, le faux retard langagier du nourrisson qui développe son lexique à partir de deux codes linguistiques (bilinguisme précoce de type simultané). Autres cas, les dépistages indus de défaut de compétence linguistique chez les très jeunes enfants bilingues qui présentent des atypies langagières propres au parler bilingue (interférences linguistiques, code‐switching, emprunts…)
- Enfants migrants chez lesquels un diagnostic a été posé dans le pays d’origine mais dont le syndrome n’est pas défini identiquement dans le pays d’accueil. C’est particulièrement le cas face aux difficultés de concentration, ou chez les enfants dits « hyperactifs »
- Confusion des parents, confrontés à la multiplicité des avis et à l’absence de compréhension des acteurs médicaux et socio‐éducatifs. Ils ont alors du mal à s’y retrouver entre les informations émanant des autorités médicales et éducatives de leur pays d’origine et celles du pays d’accueil, avec comme facteur aggravant la place du network (réseau d’expats) à l’intérieur duquel des échanges d’informations sur les thèmes médicaux ont souvent un effet délétère.
Autant d’exemples illustrent les conséquences des prises en charge improvisées liées à la rareté de l’expertise sur la transculturalité dans les soins, la vulnérabilité des parents et enfants migrants, le développement langagier et identitaire en contexte de bilinguisme précoce…
Ils soulignent aussi la pertinence d’une sensibilisation des acteurs sur l’intérêt de se doter de compétences interculturelles.
1 : http://lecercle.lesechos.fr/economie‐societe/social/sante/221164689/ny‐aura‐plus‐moyen‐detre‐triste
2 : http://www.lexpress.fr/actualite/societe/la‐guerre‐des‐moms‐n‐aura‐pas‐lieu_1115082.html
3 : Téléchargement gratuit depuis : www.pbaudry.com version papier disponible voir site téléchargement.